Deux ans après.

Les dernières diligences pour Pré-au-lard s’apprêtaient à partir. Encore incertaine, elle laissa son mouvement en suspend. Devait-elle y retourner ? Elle esquissa un hochement de tête. Deux ans s’étaient écoulés depuis. Il était peut-être temps de tourner la page. Encouragée par d’autres élèves désireux de retrouver le village, elle grimpa au-dedans du véhicule. Cinq autres personnes entrèrent, riants, visiblement satisfaits de cette sortie entre amis. Elle les contempla quelques instants, souhaitant secrètement au fond d’elle-même connaître à nouveau la satisfaction d’avoir quelque chose à partager avec quelqu’un. Elle laissa échapper un soupir et détourna son regard vers l’extérieur. Deux ans. Deux ans qu’ils n’avaient rien partagé.

Les cinq compères sortirent dès l’arrêt du véhicule. Probablement leur première sortie à Pré-au-lard. Une légère hésitation parcourut la jeune fille. Y aller était-ce réellement une bonne idée ? Son indécision la fit sourire. Elle n’avait pas fait tout le trajet pour repartir aussi tôt arriver. Elle regarda la diligence s’éloigner avec une pointe d’appréhension. Maintenant, elle devait rester ici jusqu’à ce que le premier véhicule pour le retour arrive. Elle se retourna vers le village. Le vent d’avril vint lui caresser doucement le visage. Le ciel était tout aussi couvert que la dernière fois. Elle continua l’allée centrale, la tête lourde de souvenirs. Elle s’apprêtait à dépasser le pub principal du village, quand ses jambes refusèrent de répondre à l’appel. C’était précisément ici que tout c’était arrêté. Elle resserra le collier qu’elle tenait dans sa veste. Elle jeta un regard vers le pub puis continua sa route vers la boutique de farces et attrapes. Elle se souvenait s’être réfugiée ici quand deux ans auparavant, elle avait aperçu l’ombre dangereuse du Préfet-en-Chef de Serpentard. Un mince sourire éclaira son visage, à l’évocation de ce souvenir. Elle se concentra sur les marchandises proposées. Aucunes ne lui donnaient réellement envie. A quoi bon acheter des sucreries quand on a personne avec qui les partager ?

Elle sortit de la petite boutique et se dirigea vers un magasin proposant diverses marchandises en cuir. Tout comme deux ans auparavant, elle recherchait un cadeau pour son père. Son regard accrocha une paire de gants. Elle tendit la main en sa direction quand une autre, plus rapide l’empoigna. Elle releva le visage et reconnut la petite Lola, plus largement appelée « la sangsue ». Elle fronça les sourcils, examina les environs aux aguets d’un Chrno potentiel. Avec une pointe de soulagement mêlé à de la déception, elle constata son absence dans les environs. Elle s’éloigna de la jeune fille sans un mot et quelques instants après, ressortit de la minuscule boutique, un porte-monnaie en cuir noir dans la main.

Tout en remontant l’allée vers le pub, elle glissa le cadeau de son père dans son sac à bandoulière. Elle se demandait bien ce qu’il en ferait. Allait-il l’accepter sans aucune considération ou allait-il faire semblant d’être ravi, comme à son habitude ? Ses pensées et ses yeux rivés sur le petit objet logé dans son sac, elle ne vit pas la personne arrêtée devant elle. L’impact lui fit lâcher une petite exclamation. Elle leva la tête vers celui qui allait probablement lui lancer une vanne très réfléchie sur sa maladresse.
Son cœur loupa un battement. Seth...

Il n’avait pas changé. Les mêmes yeux bleus et… Quelques centimètres en plus. Son cœur, certainement accablé par le retard accumulé depuis deux ans, frappait sa poitrine à lui en donner la nausée. Etait-ce réellement Seth ? La sorcière eut peine à le croire sous ses yeux, ici, à Pré-au-Lard, le mercredi 7 avril à 15h. Les premières semaines suivant la dispute, elle avait du prendre rapidement le coup de main en ce qui concernait l’esquive de l’indésirable. Mais, au fil du temps, il s’avérait qu’elle ne le croisait même plus dans les couloirs ; il lui était arrivé souvent de se demander s’il n’avait pas changé d’école. Et là, après une si longue absence, il se tenait là devant elle, stupéfait, à ne rien dire. Une gifle le réveillerait-il ? Sa deuxième voix approuva cyniquement cette proposition. Répondant à la confusion répandue partout à travers son corps, la jeune fille brisa le contact visuel avec le jeune Chrno après s’être jaugés quelques (trop) courtes secondes. Elle qui pensait que ne plus regarder ses yeux océan allait lui permettre de ne plus rougir… Mon œil.

« Excuse-moi », souffla-t-elle. Alors qu’elle avait réussi tant bien que mal à récupérer un rythme cardiaque convenable, il accéléra de nouveau. Elle ne chercha pas à reprendre le contact visuel. La scène devait être assez pathétique comme ça. ‘Excuse-moi ?! Très recherché ça Abi, bravo’. La petite voix dans sa tête avait l’air furieuse. Tant mieux. La dernière fois qu’elle l’avait écoutée, elle avait perdu son meilleur ami. Elle releva finalement le visage vers le garçon et se redressa. Elle lui avait dit tout ce dont une personne bousculée pouvait espérer entendre. Déchirée entre l’envie s’enfuir très loin et de continuer la conversation, la jeune fille réajusta la bande en lin sur son épaule. Elle leva une dernière fois les yeux sur le garçon avant de passer son chemin. Elle avait beau se creuser la tête, elle ne savait pas quoi lui dire. Trop de temps était passé, ils n’avaient plus rien en commun. Elle se trouvait à présent stupide de s’être autant accrochée à cette histoire. Alors qu’elle s’était résolue à feindre l’indifférence, un mouvement derrière Seth attira son attention. Un nain à lunettes s’approchait dangereusement d’eux, un verre au contenant vert lévitant au bout de sa baguette. Comme pour confirmer l’hypothèse d’une attaque, ledit boutonneux échappa au champ visuel d’Abigaël. Quant au verre, il fonçait droit sur Seth.

La jeune fille esquissa un mouvement vers l’arrière, agrippa le Gryffondor par la chemise l’obligeant ainsi à suivre le mouvement et se retrouver hors de la trajectoire de l’objet volant... Mais impliquant en contrepartie la proximité de leur corps. Le rouge monta à ses joues. Le Gryffondor et elle, étaient vraiment très proches l’un de l’autre. Elle pouvait sentir son souffle sur son front. Elle releva le menton vers le jeune homme. Son cœur menaçait de transpercer sa poitrine. Son poux s’accéléra à la vue de ses lèvres si proches. Il n’y avait qu’un pas à faire… Les sentiments qu’elles avaient gardé tapis au fond d’elle-même ces deux dernières années refirent surface, plus violemment que jamais. Elle esquissa un léger mouvement vers ces lèvres si désirées. Encore un peu… Un tout petit peu…

Ses lèvres se posèrent enfin sur les siennes. Telle une vague, une montée d’adrénaline s’abattit sur tout son corps. La chaleur des lèvres du garçon, la douceur de la caresse, le bonheur de se retrouver, la proximité de leur corps fit resserrer sa main sur la chemise du garçon. Tous les membres de la jeune fille étaient engourdis ; elle se laissait porter par le délicieux moment qu’avait créé hasardeusement un verre au contenant verdâtre. Les petits oiseaux dans son bas ventre s’installèrent agréablement. Son cœur quant à lui, alors qu’il avait semblé cesser de battre la seconde précédant le baiser, tambourinait à présent sa poitrine avec gaité. Une joie intense explosait en elle. Un frisson d’ampleur anormale lui parcourut l’échine lorsque celui-ci passa sa main dans ses cheveux. Trop abasourdie pour répondre à quoi que ce soit, oubliant être à Pré-au-lard, au beau milieu de l’allée centrale, Abigaël laissait la passion du Troisième Année guider ses pas.

Le garçon s’écarta finalement. Le cœur de la jeune fille, loin d’être lassé de la valse rythmée qu’il donnait, ordonnait une nouvelle danse des saveurs. Ils étaient encore très proches. Encore envoûtée par le baiser, la Serpentard plongea ses yeux dans ceux de son partenaire. Si des ailes lui avaient poussé dans le dos, elle n’en aurait pas été étonnée. Jamais elle ne s’était sentie aussi bien. Ecoutant davantage son cœur que son cerveau, elle dirigea sa main sur celle de Seth et l’empêcha de briser le seul contact physique qu’il leur restait. S’apprêtant à rendre le baiser que Seth lui avait offert et qu’elle, trop surprise, n’avait pu lui rendre comme il se devait - les excuses qu’il ne faut pas s’inventer pour embrasser un garçon !- , elle fut néanmoins détournée de sa trajectoire par une pression faite sur ses cheveux qui l’obligea à esquisser deux pas en arrière pour limiter la douleur et reçu pour finir, un coup violent à sa joue gauche.

Douche froide. Auteur de ce double désastre ? Davidson. La Quatrième Année laissa échapper un sourire mauvais. Suicidaire ou tout simplement stupide ? Hum, choix difficile. Les deux traits correspondant exactement à sa rivale. Sa voix intérieure reprit le dessus et hurlait, euphorique : * j’ai gagné la moche, il est à moi maintenant. Crève Grognaaasse ! *. Le sourire de la jeune fille s’élargit. Pour une fois, elle était entièrement d’accord avec sa petite voix qui continuait à obstruer ses idées par des cris, tels ceux des bêtes sauvages, traduisibles par : * t’es la meilleureeeeee !!* ... Hum… Il était temps de se reprendre, Lola s’enfuyait déjà par une des nombreuses ruelles sombres du village. D’un geste adroit, Abigaël laissa glisser adroitement sa baguette jusqu’à son poignet et la tournoya rapidement sous sa manche. Erf, loupé. Quelle plaie cette gamine, en plus de foutre la zizanie dans sa vie amoureuse, elle devait aussi lui rappeler qu’elle ne savait pas viser. *Saleté*.

Décidée de ne pas se laisser marcher sur les pieds par cette allumée du bocal qui avait OSE lui raffermir son magnifique visage, Abigaël entreprit de lui courir après. Ne se souciant pas des visages tournés vers elle -après tout cette scène devait être comique de l’extérieur-, la jeune fille attrapa au passage la main de Seth * yaaaark *o* * et s’élança vers la ruelle dans laquelle c’était engouffrée la Sangsue. La jeune fille sentait un sentiment d’excitation monter en elle, ce sentiment qu’elle n’avait pas ressenti depuis longtemps et que ce baiser avait ravivé. Après un bref coup d’œil des environs, la jeune fille souffla :

« Elle a filé. »

Elle se tourna la tête vers Seth afin de voir sa réaction. Pendant ces brefs instants de course poursuite, la jeune fille avait espéré qu’il entrecroiserait ses doigts avec les siens mais apparemment, la séquence émotion était déjà bien loin derrière… * saleté de Lolaaaa ! J’aurais pas mon deuxième baiser !!*. .Abigaël resserra son emprise sur la main du Gryffondor et de l’autre, sortit de sa poche le médaillon, offert deux ans plus tôt. Elle l'avait toujours gardé sur elle, telle une relique. Sans le lâcher des yeux, elle glissa le bijou dans la main de Seth.

« Je l’ai fait réparer. J’aurais aimé le mettre mais… »

La jeune fille se tut. Elle ne voulait pas faire revivre cet instant, surtout pas quand elle venait de le retrouer. Elle fixait les yeux bleus de son camarade. Une courant d'air froid lui caressa l'échine. Sa petite voix lui chuchotait de le faire. Elle se mordit la lèvre inférieure. Que se passerait-il s’il la repoussait ? Ils se reparleraient certainement plus avant deux ans. Ca valait quand même le coup de prendre le risque. A nouveau, elle se rapprocha lentement du garçon. Ses tempes battaient avec ferveur. Doucement, elle passa ses bras autour des épaules du garçon. Sa respiration se faisait beaucoup plus courte. Sans prévenir, la jeune fille posa délicatement ses lèvres sur celles du garçon. Rythme cardiaque dangereusement élevé. Elle resserra son étreinte autour du cou du garçon puis partit à la recherche d’une de ses mains. Elle fit jouer ses doigts quelques secondes avec ceux de son ami et finit par les entrecroiser. La jeune fille entrouvrit légèrement les lèvres. Les papillons de son estomac s'épanouissait dans tout son corps.

L’échange de sensations s’interrompit naturellement. Consciente qu’elle ne pourrait pas faire passer ce baiser comme l’expression de la joie de retrouver un ami, la sorcière, les pommettes légèrement roses, chuchota, un sourire mi-gêné, mi-heureux aux lèvres:

« Tu m’as manqué, Seth. » Gardant le contact visuel, la jeune fille relâcha petit à petit l’étreinte qu’elle avait sur le jeune homme et ajouta, comme pour expliquer son baiser : « j’étais trop surprise tout à l’heure pour répondre à ton ‘signe d’affection’, commença-t-elle un sourire joyeux aux lèvres, j’ai donc pensé qu’il fallait que je corrige ça ». Elle lui adressa un clin d’œil joueur. Mensonge crédible?

Seth regardait leurs mains jointes (Abigaël ayant retenu son geste pour se dégager) et, c’est le cœur battant la chamade qu’il leva enfin le regard pour dévorer… Lola en pleurs qui giflait Abi?!? Seth cligna bêtement des yeux plusieurs fois en espérant voir le tableau qui s’offrait à lui changer, mais son souhait ne fut pas exaucé. Il vit plutôt la Gryffondor s’enfuir de façon assez théâtrale et ne pu s’empêcher de faire un pas en avant. Ce geste instinctif lui coûta beaucoup puisqu’il sentit au même moment un morceau de verre cassé traverser sa chaussure et pénétrer dans son pied. Aïe, il avait complètement oublié le verre insolite qui avait éclaté tout près de lui. D’ailleurs, la raison pour laquelle il avait oublié ce détail rangeait sa baguette et, lui empoignant fermement par la main, l’entraîna à sa suite dans une poursuite pour rattraper Lola.

Seth s’empressa de la suivre tout en essayant tant bien que mal de ne pas aggraver son état. Ce n’était pas si pire que ça, l’éclat ne semblait pas très gros, mais son emplacement, en plein milieu de la plante du pied, faisait un mal de chien. Ils s’arrêtèrent enfin dans une ruelle adjacente. Lola n’était heureusement pas là (qu’est-ce qu’il aurait bien pu lui dire de toute façon? À part de se mêler de ses affaires et de ne plus toucher à un seul cheveu de SA Serpentard!). Le jeune sorcier vit avec surprise Abi sortir le médaillon qu’il avait jeté rageusement dans la boue lors de leur dernière dispute. Un chaud sentiment de bonheur vint lui réchauffer le cœur. C’est donc avec un petit sourire tendre qu’il écouta ce qu’elle avait à dire et il accueilli son baiser avec une ardeur toute nouvelle. Ses mains rapprochèrent sa bien-aimée de son corps. Comment ils en étaient rendu là, il n’en avait plus aucune idée, mais il s’en foutait éperdument! Ils se séparèrent enfin pour reprendre leur souffle et, Abi lui disant vouloir corriger la situation pour faire oublier son moment de surprise, Seth voulu lui répondre.

Ce qu’il voulait dire; qu’il l’aimait, qu’il était désolé d’avoir attendu si longtemps, qu’il ne voulait plus jamais la quitter… personne ne le saura jamais. Seth sentit subitement toutes les couleurs quitter son visage et, ignorant le regard inquiet que lui lançait son amie (étaient-ils plus à présent?), il se dégagea prestement de leur étreinte. Ce ne fut pas une seconde trop tôt, car il fut aussitôt violemment malade dans une poubelle qu’il avait attrapée au dernier moment. Vraiment génial pour casser tout contexte romantique…