IV. Histoire
23 Mars 1994 – Quiberon (France) :Dehors il pleuvait, comme bien souvent en Bretagne à cette époque de l’année. Les lourds nuages sombres qui obscurcissaient le ciel ne cessaient de déverser sur la presqu’île de Quiberon une pluie fine et glacée qui transperçait les vêtements et trempait en quelques secondes des pieds à la tête les quelques bretons inconscients qui traînaient encore dans les rues ruisselantes. Des grandes baies vitrées du salon, Elicia pouvait observer la mer houleuse dont les vagues déchaînées, ourlées d’écume blanche, venaient s’échouer sur la plage, en contre bas de la petite maison blanche qu’elle occupait depuis presque une dizaine d’années à présent. Elle et son mari Gwennaël, un breton d’origine qu’elle avait rencontré en Angleterre, à Poudlard (l’une des écoles de sorcellerie la plus connue au monde où tout deux avait fait leurs études), avaient tout de suite craqué pour cette maisonnette accrochée à la falaise, juste au dessus de la mer.
Elicia détourna doucement son regard des baies vitrées, sans cesser d’agiter sa baguette magique au dessus du berceau de son fils. Celui-ci riait aux éclats en observant d’un œil curieux les petits animaux formés par les étincelles multicolores qui s’échappaient de la baguette magique. La jeune femme sourit, agitant sa baguette de plus belle, pour le simple plaisir d’entendre rire Gabriel de plus belle.
A l’aube de la trentaine, Elicia était une femme douce animée d’une grâce naturelle et qui n’avait rien perdu encore des charmes de la jeunesse. Elle n’avait connu que le bonheur ou presque dans sa vie, et ça ne semblait pas près de changer. La naissance de Gabriel, à peine un mois auparavant, n’avait fait qu’ajouté une touche de joie en plus à son existence et tout lui semblait parfait.
24 Décembre 1999 – Quiberon (France) :Le vaste salon de la petite maison en bord de mer était décoré de guirlandes aux couleurs vives, courant sur le rebord des fenêtres et sur manteau de la cheminée où crépitait un bon feu. Des boules de noëls brillantes avaient été accrochées un peu partout dans la pièce et sous le sapin, croulants sous les décorations, un tas de paquets enveloppés de papiers aux couleurs chatoyantes attiraient les regards envieux de Gabriel et de son cousin Alexandre. Dehors régnait un froid vif et perçant. La neige tombait sur la mer calme sans que jamais un seul flocon n’y persiste, et recouvrait la plage, les ruelles et les toits de Quiberon.
Gwennaël, assis au bout de la grande table, observait d’un œil distrait et attendrit les deux enfants qui tournaient autour des cadeaux, les yeux brillants d’impatience et d’envie. Il les regardait jouer ensemble comme deux frères inséparables. Il n’avait pas fallut longtemps à Gabriel pour transformer en un véritable sapin de noël ambulant, tout couvert de guirlandes et de diverses décorations.
Alex était né un an après Gabriel et depuis qu’ils avaient l’âge de marcher, ils étaient toujours fourrés ensemble, dès qu’ils le pouvaient. Il était rare de voir l’un sans l’autre, les deux cousins étant aussi indissociables que les deux doigts d’une main.
« Papaaaaaaaaaa ! »La petite voix enfantine de son fils tira Gwennaël de ses pensées.
« C’est quand qu’on ouvre les cadeeeeaaauuux ??! »L’impatience de Gabriel le fit sourire. Il ébouriffa les cheveux châtain parsemés de multiples reflets de l’enfant dans un geste d’affection avant de répondre :
« Bientôt bonhomme. Il va falloir attendre encore un petit peu. » Gabriel se jucha sur une chaise, à côté d’Alex, avec moue déçue, alors qu’Elicia posait sur la table la fameuse dinde de noël.
18 Avril 2002 – Quiberon (France) :Gabriel tourna encore une page du grand album photo de son père. Dans une main il tenait une lampe de poche avec laquelle il éclairait d’étranges photos. Sur la plupart, les personnages étaient animés et ne cessaient de bouger. Et même parfois l’un d’eux leur parlait, en faisant de grands gestes.
La voix douce de l’enfant, à peine plus forte qu’un murmure, racontait des histoires. Des histoires passionnantes qui parlaient de sorciers, de créatures magiques et mystiques, de tout un monde cachés, toute une société soigneusement dissimulée mais dont il avait les clés. Et blottit contre lui, Alex écoutait, ses deux yeux dorés brillants comme deux pépites d’or dans l’obscurité. Ils étaient tous les deux tassés dans le lit de Gabriel, l’album photo calé entre eux illustrant les récits de l’aîné.
12 Juillet 2003 – Quiberon (France) :Gabriel se taisait, essayant de se faire le plus discret possible, tout son corps tendu comme une corde d’arc. Ses yeux étaient grands ouverts dans le noir, écarquillés par une angoisse soudaine qui lui nouait l’estomac. Il respirait à peine, de peur de se faire entendre. L’oreille collée à la porte entrouverte, il écoutait anxieusement la discussion de ses parents. Sa mère était assise dans le canapé et son regard pâle suivait le va et viens incessant de son père. Le bruit de ses allées et venues était étouffé par l’épais tapis du salon si bien qu’on entendait que le murmure de leurs voix et l’enfant avait l’impression que son cœur battait si fort qu’ils allaient finir par l’entendre eux aussi.
« Il ne voudra jamais partir d’ici… »Gabriel perçut l’hésitation dans la voix de sa mère. Son père s’arrêta tout à coup de faire les cents pas et se tourna vers Elicia.
« Ce n’est qu’un gosse… Il ne va pas en mourir ! Et puis ce sera très bien pour lui, il va découvrir une nouvelle culture, un nouveau pays ! »Gwennaël tentait vainement de faire preuve d’enthousiasme mais la jeune femme en face de lui grimaçât. Elle ne répondit pas. Sa famille vivait en Angleterre et elle se faisait une joie de retourner habiter dans son pays. Une des tantes d’Elicia venait de décéder et elle avait légué à sa nièce l’immense manoir qu’elle possédait. Gwennaël avait trouver là vas un poste très intéressant. C’était pour eux une opportunité en or.
« D’accord… »Le cœur de Gabriel fit un bond dans sa poitrine. Pousser par une détresse soudaine il ouvrit la porte.
« Je veux pas y aller ! Maman, je veux pas m’en aller !... »Sa mère le regarda stupéfaite. Une main sur la poignée, le pyjama baillant sur son épaule menue, des larmes ruisselant sur ses joues sans même qu’il s’en rendre compte, Gabriel tremblait de tous ses membres mais sa voix était ferme et déterminée. Sans un mot elle se leva et le pris dans ses bras.
« Je veux pas partir. » dit-il encore tout bas, mais cette fois sa voix tremblait tout autant que lui-même.
Elicia ne répondit pas. Il serait toujours temps d’en discuter demain. Elle le souleva dans ses bras et l’emmené jusqu’à sa chambre.
24 Août 2003 – Quiberon (France) :Le sable chaud glissait entre ses doigts écartés, comme l’eau lorsqu’on essayait de la retenir. Il était assis dans le sable, face à la mer. Alex était assis à côté de lui mais il évitait soigneusement de le regarder. Il fixait la ligne d’horizon, le regard vide comme si il ne pensait à rien. Mais en réalité l’angoisse lui nouait la gorge. Il savait qu’Alex le connaissait assez pour ne pas percevoir son anxiété mais les mots se mélangeaient dans son esprit et il ne parvenait pas avouer à son cousin ce qu’il lui cachait plus d’un mois.
« Alex je… »Il se mordit la lèvre. Maintenant il sentait le regard du jeune garçon posé sur lui. Il fixait toujours l’horizon mais il arrivait parfaitement à se représenter l’expression de curiosité mêlée d’appréhension du blondinet. Il baissa les yeux sur ses mains. Il avait commencé à présent, il fallait bien terminer.
« Je vais partir. Demain. »25 Août 2003 – Lorient (France) :Lorient, la grande ville la plus proche de la presqu’île de Quiberon, étalait ses maisons jusqu’à la côte. A cette époque de l’année, la ville grouillait de touristes qui envahissaient les plages et les rues, donnant à la ville un air de fourmilière. Par le petit hublot, Gabriel regardait la ville s’éloigner l’entement en essayant de ne pas pleurer. Il voyait les maisons rétrécirent et les gens n’étaient plus que des petits points noirs indistincts. Il s’éloignait de plus en plus de la Bretagne. Il s’éloignait de sa maison, de sa ville, de son pays même. Il s’éloignait d’Alex. Gabriel ferma les yeux, mais pas assez vite cependant pour empêcher quelques larmes de s’échapper. Il sentit la main de sa mère presser la sienne sur l’accoudoir. L’enfant se recula dans son siège. L’avion vibrait de plus en plus.
Et quand il rouvrit les yeux, les nuages cachaient les côtes de Bretagne et la dernière image qu’il en emporterait serait ce bout de bleu, un morceau de mer bretonne dans la déchirure des nuages cotonneux.
25 Août 2003 – Londres (Angleterre) :Gabriel balançait ses pieds au dessus du sol, remuant ses jambes en un va et vient incessant. Il fixait le sol sale de l’aéroport de Londres où ils avaient atterri voilà plus d’une demi heure, l’air sombre. Son éternel sourire avait disparut de son visage, lui donnant un air de tristesse qu’on ne lui voyait que très rarement. Ses parents s’échangeaient des regards peinés par-dessus son épaule. Finalement on annonça l’arrivée de l’avion qui devait les emmener de Londres à Plymouth, une importante ville côtière. Sa mère se leva et le pris par la main avec un sourire des plus enthousiaste, tandis que son père prenait les bagages. Mais pas l’ombre d’un signe de joie ne passa sur le visage de l’enfant.
09 Septembre 2003 – Plymouth (Angleterre) :Gabriel regardait la mer. Cela faisait plus d’une heure qu’il la fixait sans bouger. La mer… Ce n’était pas la même. Ce n’était pas SA mer. Ce n’était pas celle où il se baignait avec Alex, ce n’était pas celle qu’il entendait le soir, ce n’était pas celle qui avait un si mauvais caractère et se fâchait souvent en hiver. Non, ce n’était pas la mer qu’il connaissait.
Il shoota rageusement dans un caillou et quitta la jetée. La nuit tombait, sa mère allait s’inquiéter.
04 Novembre 2003 – Plymouth (Angleterre) :Il écoutait les ‘bip’ successifs sans même éloigner le téléphone de son oreille. Quand il en eu les oreilles bourdonnantes, il se décida à raccrocher le combiné. Il resta un instant immobile, savourant le silence pesant du couloir. Dans l’immense maison qu’il habitait désormais, il y avait au moins 5 téléphone. Mais c’était toujours celui-ci qu’il choisissait. C’était avec un long fil entortillé, dont le socle était fixé au mur. Il s’asseyait toujours à même le sol dans le couloir, jouant avec le fil. Et il parlait pendant des heures. Il racontait tout et rien, la pluie, le beau temps, les anglais. Il lui apprenait des mots anglais, il lui décrivait la ville, l’école, la gigantesque maison, la vie en Angleterre depuis les pancakes du petit déjeuner jusqu’aux traditions anglaises. Il lui disait qu’il lui manquait, et ensemble ils parlaient des jours passés, évoquant toutes nuits. Alors Gabriel reprenait ses histoires de sorciers. Jusqu’à qu’Elicia lui demande de raccrocher. Alors une dernière il s’enivrait de sa voix enfantine déformée par le téléphone et il promettait de rappeler bientôt.
« Bientôt Alex, promis.». Puis il attendait qu’il raccroche et il écoutait toujours les ‘bip’ sonores du téléphone, juste le temps de dissiper la sensation de bien être et de douleur atroce mêlés. Et il raccrochait. Puis il fermait les yeux et il revoyait son visage. Alors il souriait derrière ses larmes.
25 Décembre 2003 – Plymouth (Angleterre) : Elicia les regardait en souriant doucement, heureuse de revoir un sourire sur le visage de son fils. Il serrait Alex si fort dans ses bras qu’elle avait l’impression qu’il allait l’étouffer. Le feu crépitait dans la cheminée et sous le sapin traînait encore quelques papiers déchirés, seuls vestiges des cadeaux de noël. Mais le plus beau cadeau pour Elicia, c’était sans doute ce bonheur, cette joie intense dans les yeux de Gabriel.
« Joyeux Noël mon chéri… » Murmura t’elle doucement, comme pour elle-même.